Je ne sais plus si je suis encore juive ou juste quelqu’un qui doute.
Je suis née comme ça, dans une histoire, une lignée, une mémoire. Avec des certitudes qui hurlent plus fort que l’amour.
Je suis la petite-fille de ceux qui ont fui, de ceux qui ont prié, de ceux qui ont tout perdu sauf le nom.
Mais aujourd’hui, j’ai honte.
Pas à cause de pauvres gens qui taguent des étoiles sur les murs ou des cerveaux vides qui confondent la peur avec la vérité.
Ça, c’est vieux comme le monde. La bêtise. La haine des autres. Le besoin de bouc émissaire pour justifier son propre vide.
Ça, je sais le gérer. Je l’ai toujours su.
Non, ce qui me bousille, c’est de ne plus savoir où mettre mon cœur.
Mon frère est en Israël. Mes parents aussi. J’ai des amis qui croient profondément que défendre Israël, c’est défendre la vie.
Et j’en ai d’autres qui me parlent de colonisation, de génocide, de larmes qu’on n’entend plus, parce qu’on les a classées dans la mauvaise case.
Et moi, je suis là, entre deux langues, deux douleurs, deux loyautés. À genoux.
Je regarde Gaza et j’ai mal.
Je regarde les colons et j’ai honte.
Je regarde les attentats, les massacres, les enfants kidnappés ou enterrés, et j’ai envie de hurler.
Mais hurler où ? Hurler quoi ? À qui ?
Je ne veux plus soutenir un drapeau. Je veux soutenir des humains.
Mais il paraît qu’aujourd’hui, ce n’est plus possible.
Il faut choisir un camp.
Et si tu ne choisis pas, tu deviens l’ennemi des deux.
Et si tu parles, tu trahis.
Et si tu te tais, tu cautionnes.
Alors je fais quoi ? Je me tais, je me parle, je prie ?
Je ne crois pas à la paix. Je ne crois plus aux processus, aux négociations, aux selfies avec des colombes.
La haine a gagné. Partout.
La guerre des récits. La guerre des mots. La guerre des enfants qui ne reviendront pas.
Et les mères qui n’ont plus de lait, plus de bras, plus de raison de croire.
Et je suis censée continuer à dire que je suis juive, comme si c’était simple.
Comme si c’était encore un refuge.
Mais c’est devenu un champ de bataille.
Je condamne le terrorisme,le fanatisme. Je condamne la torture. Les bombes qui tombent sur des écoles. Les balles dans les ventres.
Mais je condamne encore plus les murs dans les têtes.
Je condamne le gouvernement israélien, ses décisions, ses violences, ses discours qui déshumanisent.
Mais je condamne aussi ceux qui, au nom de la souffrance, justifient l’horreur.
Et je n’ai plus de solution.
Je n’ai plus d’explication.
Je n’ai plus d’espérance.
Où est l’amour, bordel ?
Parce que c’est ça, la vérité qu’on a oubliée :
L’amour. L’amour qui relie. Qui redonne visage. Qui reconnaît l’autre, même quand on ne comprend rien à sa douleur.
L’amour des prophètes, des poètes, des mères.
Celui qu’on enseigne dans toutes les religions. Et qu’on trahit dans toutes les guerres.
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
C’était simple, mais on n’a pas su. On a perdu.
Alors je réapprends.
À douter, à écouter, à rester humaine dans un monde qui dévore les cœurs.
Et si c’est ça, être juive aujourd’hui, alors peut-être que je le suis encore.
Perdue. Mais debout.